Effondrements moraux

Stigand avait l'esprit occupé durant tout le trajet. Il allait peut-être avoir les réponses à toutes les questions qui le préoccupait... Son passé, ses souvenirs, la maîtrise des pouvoirs de Chiana... Tout. Il fallait juste trouver quelqu'un comme Salahadîn. Quelqu'un de savant. Même les cabrioles de Chiana n'arrivaient pas à lui ôter ses questions de la tête, sauf quand elle a ramenée un énorme ours... C'était une très belle prise. La connaissant, le jeune homme s'imagina la facilité avec laquelle elle est arrivée sur lui, monter sur son dos, pour finalement lui briser la nuque en un instant... Pauvre bête. Mais avec du recul, Chiana était bien plus dangereuse qu'un ours, la férocité et l'agressivité en moins...

La Montagne Solitaire était toute proche, Stig se sentait minuscule devant son immensité. Finalement, les marchands et les deux jeunes amis arrivèrent à leur destination. La ville était littéralement dans la montagne. Tout avait été tailler dans la pierre avec précision et finesse. Un travail long et fastidieux. Les nains comptaient vraiment parmi les plus grands artisans de ce monde, malgré leur méfiance vis-à-vis des autres races.

Stigand suivait calmement Tsahid et sa troupe, toujours préoccupé par son passé inconnu. Il avait à peine remarquer l'attitude de Chiana. Le jeune homme imaginait à peine que cette ville rappelait en partie à son amie le calvaire qu'elle a du subir dans la grotte dans laquelle ils se sont rencontrés. Même si sa faisait une bien plus grande cavité, c'était sous la terre, et cela ne plaisait pas du tout à la jeune vampire. L'endroit était aussi bien plus éclairé que la grotte de Chiana, la voute au dessus d'eux donnait l'illusion d'être le ciel. Pourtant, ils étaient bel et bien sous terre...

Et cerise sur le gâteau, l'endroit était très peuplé... Des nains, des hommes, et tout un tas de créatures étaient présentes. Au bout du marché, Tsahid trouva un de ses amis qu'il cherchait. Stigand les écoutait de loin. Il ne faisait plus attention qu'au chef des marchands, et ce qu'il pouvait lui apprendre sur Salahadîn... Le jeune homme souhaitait de tout son cœur que ce semi-elfe soit ici, quelque part dans la ville...

Le cri de Chiana le fit sortir de ses tourments intérieurs... Ce cri, le même que celui qu'il avait entendu avant de voir Chiana transformée... Stig eut un flash. Pourvu qu'elle ne se transforme pas ! Qui sait quel malheur pourrait arriver, combien de personnes était-elle capable de tuer avant d'être maîtriser... Si elle était maîtrisable... Stigand fut le premier à aller voir ce qui s'était passé... Elle était allongée, quelqu'un avec un large manteau brin était penché sur elle, et semblait l'examiner. Un gobelin mort était non loin, qui avait presque implosé. Une vision d'horreur, une de plus témoignant des pouvoirs surnaturelles de la jeune fille.

Stig était paralysé, il ne savait plus quoi. Allait-elle se transformer ? Était-elle morte ? Ce fut plus qu'un soulagement qu'il eut en entendant un nain dire qu'elle s'était sous doute évanouie par la peur... Même si en réalité, Stigand s'imaginait qu'en voyant une telle créature, et dans ce cadre qu'était la ville souterraine, elle avait du se rappeler de ces bêtes qui rodaient près de la caverne dans laquelle elle a été enfermée... Et en hurlant, ses pouvoirs se sont libérés un instant et on détruit la source de sa peur... Heureusement qu'il n'y avait pas eu d'autres blessés. Le jeune homme s'en voulait terriblement, il n'avait rien vu venir, rien interpréter, il ne pensait qu'à lui depuis que le soleil s'était levé ce jour là. Il était impuissant et il avait été terriblement égoïste. Quelle honte...

Le mystérieux inconnu qui s'occupait de Chiana intrigua Stigand. Il semblait savoir ce qu'il faisait, il l'avait transporté dans la maison du nain et posé sur un sofa. Stig les suivait, mais il était encore sous le choc de l'évènement, jusqu'à ce que cette personne encapuchonnée sorte une fiole et la passe sous le nez de Chiana. Cette fois, s'en était trop. Le jeune amnésique devait agir. Dans un élan de colère, pour pas dire de frustration devant son impuissance et sa négligence, il s'avança brusquement vers l'inconnu, lui pris la poignée qui tenait la fiole et le souleva avec force. L'inconnu n'avait visiblement pas vu venir Stig et poussa un petit cri de surprise. L'amnésique l'avait soulevé suffisamment fort pour faire dresser l'individu en même temps, mais ce dernier avait gardé la fiole dans sa main, sans qu'elle ai perdue de son contenu. Pour un peu plus, il l'aurait envoyé dans le décor, mais dans un soupçon de raison, il arrêta son mouvement. Les deux personnes se tenaient face à face, mais le visage de l'inconnu était toujours caché par la capuche du manteau.

« Qui êtes-vous pour agir ainsi auprès d'elle ? Vous ne la connaissez même pas... » demanda Stigand, la voix troublé mais dure.

Il tira sur le bras de l'inconnu pour l'écarter de Chiana. Ce dernier ne perdit pas l'équilibre, il s'attendait visiblement à être repousser ainsi après avoir été ainsi soulever. Stig se pencha vers la jeune fille, la pris dans ses bras et la tenait contre lui. Il avait les larmes aux yeux. Il comprit à cette instant la nature de ses sentiments pour la jeune fille : elle était devenue sa sœur, sa petite sœur. Avec Melni, c'était sa seule famille. Il avait été trop négligent, trop égoïste, trop tourné sur ses propres problèmes. Il n'avait même pas vu le malaise de la jeune fille dans la Montagne Solitaire. Il s'en voulait terriblement.

« Je sais pas qui vous êtes, mais... J'ai l'impression que vous avez parfaitement conscience de ce qu'elle est, et de ce qu'elle a fait... » dit Stigand, qui éclatait à moitié en sanglots.

Le jeune homme se leva, dégaina son épée, et la pointa vers l'inconnu. Non pas par méchanceté, mais par prévention et par avertissement. L'inconnu comprendrait sans doute qu'il cherchait juste à protéger sa précieuse amie. .. Il serrait si fort la poignée de son épée d'argent, que s'il continuait trop longtemps, ses doigts auraient finis par saigner.

« Je ne vous laisserai pas l'approcher tant que vous ne m'aurez pas dit qui vous êtes, ni ce que vous faisiez avec cette fiole... »

Stigand avait conscience que c'était pas quelqu'un d'ordinaire qui se tenait face à lui... C'était peut-être un vampire lui aussi, voir même un lycan... Mais Stig avait fixé toute son attention sur l'individu qui se tenait face à lui. S'il tentait quoi que ce soit, le jeune homme agirait en conséquence. Mais il sentit aucune hostilité sortir de l'inconnu. Il baissa sa lame, mais ne la rangea pas dans sa gaine. Tout dépendait de l'étranger maintenant....

Cet inconnu, qui s'était occupé de Chiana sans que personne ne lui demande quoi que ce soit, était le fameux Salahadîn dont Tsahid avait longuement vanté l'intelligence et le savoir. Pas étonnant que la réaction de Tsahid est été aussi vive. Stigand avait compris à qui il avait affaire à l'instant où la lame du chef des marchands toucha son cou. Le semi-elfe était quelqu'un de gentil, mais maladroit. La preuve en était, il s'est occupé de Chiana, alors qu'il devait se douter qu'elle était accompagnée. Mais en fin de compte, ce n'était que par bienveillance qu'il l'avait écarté de la population qui s'était amassé autour du gobelin mort. C'était pas plus mal, sinon, qui sait quel esprit tordu aurait pu faire le lien entre les deux évènements. Elle était en lien sûr à présent.

Stigand écouta attentivement Salahadîn... Mais a-t-il bien entendu ? Un.... homme... du Nord ? Ceux dont le sang est vif et chaud ? Avait-il deviné les origines de Stig rien qu'en l'observant ? Quel drôle de... talent... C'était une mine de savoir qui se dressait devant l'amnésique.

« Pardonnez-moi, j'ai agi sans réfléchir sous le coup de la colère, de la surprise et de l'incompréhension... » dit-il en baissant la tête, en s'adressant à la fois à Tsahid et à Salahadîn. « Permettez-moi de me présenter, je m'appelle Stigand, et je suis l'ami de cette jeune. Dites moi, a quoi sert cette fiole que vous tenez ? »

Salahadîn répondit à cette question juste après. Il comprenait que Stig avait besoin de réponses, pour pouvoir se calmer et être rassurer. Le jeune homme rangea aussitôt sa lame et s'écarta, et Tsahid fit de même. Le semi-elfe était le plus compétent pour s'occuper de Chiana.

« Elle perd connaissance lorsqu'elle libère ses pouvoirs mentaux... » dit l'amnésique en observant Salahadîn qui utilisait sa fiole sur la jeune fille. « J'ai assisté qu'une fois à cette libération d'énergie. Elle s'était transformée, elle lévitait et elle... »

Il n'eut pas le temps de finir sa phrase. Chiana se réveilla en sursaut, sauta sur la première personne près d'elle, c'est à dire son soigneur, en sanglots. Puis elle balbutia ces quelques mots. Quel choc pour Stigand, c'était la première fois qu'elle parlait d'elle même à la première personne. Et puis, le timbre de sa voix. On aurait dit une femme différente... C'était pas Chiana qu'il avait connu, c'était la jeune fille qui avait assistée à la mort de ses parents, celle traumatisée par cette vision d'horreur qu'est la perte des êtres chers... C'était la vraie Chiana... Puis elle tomba à nouveau inconsciente. Tsahid et Salahadîn se tournèrent vers Stig, les quelques mots de la jeune fille avaient piqués leur curiosité au vif. Ils avaient le droit de le savoir. L'amnésique s'approcha de la jeune fille. Salahadîn s'écarta aimablement, Stig se posa sur le sofa, pris Chiana et posa sa tête sur sa jambe. Il caressait lentement ses cheveux...

« Il y a quelques années, une bande de vampires vagabonds dont le chef était un lycan s'en sont pris à sa famille. Elle a assistée au meurtre de ses parents et de sa soeur... » Il marqua une pause dans son court récit, pour remettre un peu en ordre les cheveux qu'il avait défait en la caressant. « Des villageois ont accourus pour aller les aider, mais c'était déjà trop tard. Un vampire l'a mordu avant de prendre la fuite... Vous connaissez la suite... »

Stigand se souvint qu'il avait été interrompu par le réveil de Chiana, il allait pouvoir rebondir là dessus.

« Une villageoise s'est occupée d'elle, mais ses nouveaux pouvoirs firent peur aux autres villageois, alors celle qui s'était occupée d'elle l'enferma dans une caverne, et utilisa un sort pour qu'elle ne puisse pas libérer sa force... Au cours de mon voyage, je suis tombé sur elle. J'ai eu pitié d'elle et je l'ai libéré. Mais j'ai voulu savoir ce qu'elle faisait dans un si triste endroit, alors je me suis rendu à son village d'origine, qui n'était pas loin. Là bas, elle s'est …. Transformée... »

On pouvait sentir l'effroi de la scène de la voix de Stigand. Cet événement l'avait beaucoup marqué. Il continua son monologue, les deux spectateurs écoutaient sagement.

« Le ciel s'était couvert de nuages, elle lévitait et des éclairs l'entouraient... Elle était méconnaissable. Mais la villageoise que j'ai cité tout à l'heure est intervenue et a réussit à la maîtriser... Elle m'a tout expliquée juste après, et j'ai décidé d'emmener Chiana avec moi, pour sa sécurité... Je compte trouver quelqu'un qui lui apprenne à maîtriser ses pouvoirs... »

Il se tourna vers Salahadîn.

« Pour vous sa doit paraître normal, mais elle a parlée d'elle-même la première personne... Depuis que je l'ai rencontré, elle ne parle d'elle que par son prénom, à la troisième personne, et elle se comporte comme une enfant d'habitude, et son timbre de voix est aussi d'habitude plus... Enfantin. Son sursaut de tout à l'heure est pour le moins étrange... »

Il eut un moment de silence, Salahadîn prenait le temps de digérer l'histoire, tandis que Tsahid réfléchissait sur les nouveaux détails que Stigand venait de lui fournir... Il était temps pour ce dernier de parler un peu de lui. Il se tourna vers le chef des marchands.

« Je suis désolé Tsahid, je vous ai encore menti sur un point hier soir... » Ce dernier leva la tête aussitôt. La surprise et un soupçon de colère pouvait se lire sur son visage. « J'ai menti au sujet de l'homme que je cherche... En réalité, c'est moi que je cherche... » Désormais, la surprise était visible aussi sur le visage de Salahadîn.

« Je suis amnésique... Des nains m'ont retrouvés inconscient à l'Ouest d'ici, au pied des Montagnes de Fer. Les seules affaires qui me restent son mon épée, mon arc, ainsi que ceci... » Il sortit aussitôt le fameux blason, et le montra à Salahadîn. Il est inutile de décrire l'expression de ce dernier en voyant le tissu...

« Vous avez dit que j'étais un... Homme du Nord... S'il vous plait, Tsahid m'a vanté votre savoir. Dites moi qui je suis ! »

Wilfrid de Wolfgandir... Ce nom résonna dans le corps de Stigand, ainsi que dans son âme. Ce nom lui était pas inconnu, il le savait. Mais la pire crainte du jeune homme se réalisa... Rien. Aucun souvenir. La révélation de son identité n'était pas le déclic attendu. Tout s'effondrait pour Stig. Il avait placé tous ses espoirs dans l'attente de ce jour, et pourtant, il n'était pas redevenu lui-même. Il était encore Stigand, pas Wilfrid. Quelque chose s'était brisé en même temps que son corps, le jour où il est tombé de cette falaise. Et connaître sa véritable identité n'était pas le facteur déclencheur tant attendu, qui aurait pu recollé les morceaux de sa mémoire. Et si Salahadîn se trompait ? Non, il avait l'air si sur de lui, et si désolé pour le pauvre amnésique... Il n'y avait pas de doute, il était Wilfrid de Wolfgandir, dernier né d'une grande famille de chasseurs de lycans. Mais sa famille venait d'être décimer. Pour le jeune homme, tout était fini à présent. Il n'avait plus de but, et plus d'espoir. Si sa famille était vivante, il aurait pu aller les voir, et peut-être que sa mémoire serait revenu. Mais les lycans les avait massacrés jusqu'au dernier, selon les dires de Salahadîn. Non, c'était fini...

Stigand se sentait depuis le début comme quelqu'un au fond d'un immense trou. Le soleil brillait encore, laissant apparaître une faible lueur, loin au dessus de lui. Mais la lumière ne l'atteignait pas. Il avait terriblement froid. Et cette paroi était impossible à escalader à mains nus. Désormais, la lumière s'était éteinte. Il était au fond du gouffre, dans les ténèbres les plus profondes... Il était amnésique, et orphelin... Et Chiana alors ? C'était sa petite sœur d'adoption, en quelque sorte. Tsahid était comme un père... Mais non, cela ne changeait rien pour Stig... pardon, Wilfrid... Enfin peu importe... Il ne savait plus qui il était, ni vers qui, ou quoi, se tourner.

Une larme perla sur sa joue, et s'écrasa sur le front de Chiana, toujours inconsciente. Salahadîn expliqua comme il pouvait que l'amnésie ne se guérissait pas de la même façon pour tous... Certains allaient avoir des flashs et des déclics très tôt, tandis que d'autres pouvaient passer leur vie à attendre en vain de voir apparaître des brides de mémoire... Le maître de Tsahid expliqua ensuite au jeune homme la façon pour Chiana de maitriser ses pouvoirs. Il fallait qu'elle affronte son passé. Stig ne souhaiterait jamais être là quand sa arriverait, qui sait ce qu'elle serait capable de faire à ce moment là... Il était encore loin d'imaginer l'étendu de ses pouvoirs. Ces performances surhumaines n'étaient qu'une infime partie de l'ensemble de ses talents... Mais cela n'effrayait à peine Stigand, il était bien plus terrifié à l'idée de rester amnésique le reste de sa vie.

« Je suis désolé.... Je dois sortir un moment... » dit le jeune homme, la voix troublé.

Il semblait inconsolable. On pouvait lire toute sa tristesse, son désespoir et sa douleur sur son visage. Il se leva gentiment, en soulevant délicatement la tête de Chiana qui reposait sur sa jambe, pour la poser sur le sofa. Elle semblait plus détendu. Stigand laissa la plupart de ses affaires dans cette maison, se dirigea vers sa sortie. Tsahid voulut le retenir.

« S'il vous plait, laissez moi seul un moment... »

Le chef des marchands ne s'interposa pas. Stigand sortit, et se mit à errer dans la ville de Montagne Solitaire. Il était comme un fantôme, rien ni personne ne pouvait lui arracher un regard ou un soupçon d'intention. Il était ce qu'il était, seul. Rien ne pouvait le détacher de sa mélancolie maintenant. Qu'allait-il faire maintenant ? Venger sa famille ? Aller là où il est né ? C'était une possibilité. Peut-être que sa mémoire lui reviendrait en allant sur les lieux où il a grandi... Il avait une mission à accomplir aussi. Il avait une mission de paix auprès du Grand Dirigeant des Humains... Il devrait se renseigner à ce sujet, pour savoir ce qu'il en était réellement. S'occuper de Chiana ? C'était la meilleure chose à faire, du moins c'est ce qu'il pensait. Il ne pouvait pas la laisser seule. Elle avait besoin de lui, enfin il l'espérait. Que pensait-elle de lui ? Comment le voyait-elle ? Comme un ami ? Comme un frère ? Comme un père ? Ou comme... Non surement pas ça, elle n'avait aucune notion d'amour et de sexualité. Pas la peine d'y penser...

Stig se retrouva dans le marché, toujours très peuplé. Toutes sortes de senteurs émanaient de chaque étalage. Des vendeurs d'épices, de montures en tout genre, de gris-gris, des armes de tous horizons, des armures de toute taille, des potions étranges, on pouvait trouver de tout. C'était une vraie bataille pour attirer les clients. Il fallait littéralement hurler pour se faire entendre. C'était pas plus mal, tout ce bruit allait servir à couvrir le chagrin de Stigand. Il trouva un coin sombre, où peu de personnes regardaient. Il allait pouvoir laisser aller sa détresse. Il se posa, se recroquevilla sur lui-même, à la limite de la positon fœtale, mais assis. Puis il pleura. Cela lui sembla interminable, c'était toutes les larmes de son corps qui s'écoulaient le long de ses joues, mais elles partaient avec son chagrin. Pleurer est en quelque sorte une purification de l'esprit, elle permet de se débarrasser d'un lourd poids. Sa fait du bien de pleurer, beaucoup de bien. Il allait pouvoir prendre un nouveau départ... Mais pour l'heure, il fallait pleurer...

Cela dura plusieurs dizaines de minutes. Personne ne vint l'interroger sur son isolement, tout le monde était trop occupé à chercher un article en particulier. Stigand s'essuya les deux joues avec son avant bras. Il savait qu'il devait avoir les yeux rouges après avoir autant pleurer. Mais il se sentait mieux maintenant, tellement mieux. Même s'il avait toujours cette solitude profonde ancrée en lui... Il se releva, puis se dirigea vers la maison où était Salahadîn et Tsahid... Peut-être que Chiana s'était reveillée... Peut-être qu'elle était redevenue normale... Si on peut appeler une gamine d'une vingtaine d'années quelqu'un de normal...

Stigand avait entendu les propos de Salahadîn... Chiana allait se transformer, non, elle devait se transformer. En usant de ses forces ainsi sur le pauvre gobelin, elle s'était épuisée, au point que son côté vampirique nécessite d'être recharger abondamment. Mais elle n'était pas une vampire ordinaire, elle se nourrissait pas du sang des êtres vivants, mais de leurs sentiments, de leurs ressentis. Même l'appétit féroce de Chiana et son amour de la bonne nourriture ne pouvait la satisfaire. C'était d'une âme dont elle avait besoin...

Stigand entra dans la maison, Tsahid et son maître se retournèrent vers lui. Ce dernier allait lui expliquer la situation, et pourquoi ils étaient aussi près de la jeune fille inconsciente. Le jeune homme leur laissa pas l'occasion de s'expliquer.

« J'ai tout entendu. » dit-il fermement.

Il fallait emmener Chiana dans un endroit tranquille, dans un lieu où elle pourrait se transformer sans causer trop de dégâts. Stig pouvait laisser ses affaires ici, dans la maison. Personne ne viendrait voler quoi que ce soit ici. Le jeune homme s'approcha de son amie, il posa sa main sur son front et constata qu'elle était réellement brulante. Le temps pressait, il fallait agir...

Stigand pris un court instant pour réfléchir à ce qu'il pouvait faire pour son amie. Chiana avait besoin de ressentis. Mais cela imposait qu'il fallait que quelqu'un ou qu'un groupe de personne serve de repas... Se faire manger les sentiments, ca ne tue pas, non ? Si Chiana se transformait au milieu du marché, et qu'elle s'attire l'hostilité de toutes les personnes présentes, qui sait quelles ravages elle pourrait causer, en se nourrissant de la haine que chacun pouvait porter sur elle. Mais si elle se nourrissait de bienveillance, voir d'amour pour elle, elle devrait logiquement se s'apaiser. C'était d'une âme amicale dont elle avait besoin, celle de quelqu'un pour qui elle comptait beaucoup. C'est ce que Stigand pensait...

Et qui appréciait la jeune fille plus que lui ? Il ne pouvait pas demander à Tsahid ou à Salahadîn ou à un marchand qui avait connu Chiana de servir de calmant, non... Stigand était le seul à devoir servir de repas, même si l'idée même de se retrouver face à une Chiana déchainée le terrifiait intérieurement, il était celui qui avait passé le plus de temps avec elle. En pleurant plus tôt, il s'était libéré de la quasi-totalité de ses tourments personnels, du moins, temporairement. Mais sur l'instant, il fallait focaliser toute son attention sur la pauvre fille.

Stig souleva la jeune fille, c'est lui qui allait la porter. Il fit passer les bras de Chiana autour de son cou, fit poser sa tête sur son épaule et la tenait par les cuisses de telle façon à pouvoir la porter sur son dos... Mais c'est qu'elle faisait son poids la bourrique... A moins que sa soit le poids de la peur de sa métamorphose... Enfin bref, il fallait passer à l'action. Stigand se tourna vers Tsahid et Salahadîn.

« Elle se nourrira de mes sentiments, je lui servirai de repas... » dit-il. On sentait toute sa détermination dans le timbre de sa voix. « Vous connaissez les lieux mieux que moi, guidez-moi vers un endroit tranquille où elle pourra se métamorphoser librement... »

Stigand savait très bien qu'il prenait des risques. Dans un soupçon d'inconscience, elle pourrait le tuer en un instant. Il avait déjà eu une courte démonstration de sa puissance psychique, mais l'heure n'était plus à l'égoïsme... S'il avait veillé sur elle dans Saxum Civitas, rien de cela ne serait jamais arrivé... Stig allait prendre les responsabilités de sa négligence, quel qu'en soit le prix...

La réflexion de Stigand ne tolérait aucune équivoque…en prenant doucement Chiana dans ses bras il signifiait à ses compagnons qu’il n’y avait rien a redire la dedans... Salahadîn fronçait les sourcils…

Les trois amis sortirent sur les conseils du Nain marchand qui leur avait indiqué un endroit des plus approprié…Les mines…elles offraient des galeries vastes et profondes dont la plupart étaient à présent abandonnées…

Salahadîn guidait ses compagnons…il connaissait les lieux comme sa poche…Bientôt l’entrée de la mine fut en vue…Seul soucis…elle était gardée…Par chance, Salahadîn savait qu’il y avait des passages secrets autres…Il désigna un sentier qui serpentait le long de la roche, semblant descendre dans les profondeurs de la terre.

Nos amis purent ainsi attendre une partie de la mine qui était désaffectée. Tsahid s’empara de deux torches qui avaient été laissées là…il les alluma et en tendit un autre à son maître. Il fallait s’enfoncer plus loin dans la galerie qui s’offrait à eux…ainsi s’il y avait explosions violente ou autre on croirait à un tremblement de terre ou un éboulement…choses fréquentes dans des mines…vous voyez le genre.

Chemin faisant au cœur des ténèbres, Salahadîn semblait perplexe…il savait très bien que Stigand était très motivé pour aider son amie…mais serait-il assez fort ? Sans vouloir offenser l’âme de notre jeune homme du Nord, le Semi-Elfe en doutait…

Jetons un coup d’œil sur notre petite vampire…elle était d’une pâleur morbide…si sa poitrine ne se soulevait pas de façon plus ou moins régulière avec parfois des râles qui s’échappaient de sa bouche entrouverte, on aurait pu penser qu’il était trop tard…et qu’elle était déjà morte. Ses joues s’étaient creusées…ses yeux étaient fermés, mais cernés…Pourtant elle n’avait rien à voir avec ces vampires assoiffés de sang…elle n’était pas froide…bien au contraire…sa peau était chaude comme celle d’un humain…qui avait de la fièvre…

Il semblait à Stigand que les cheveux de la jeune femme étaient beaucoup plus longs que d’ordinaire…et pour cause…ils grandissaient à vue d’œil…ses ongles qu’elle passait son temps à ronger étaient eux aussi devenu plus grands…

Elle était en train de se transformer !

Il fallait aller plus vite…Salahadîn avisa un boyau plus petit…il s’y engouffra…et abouti sur une salle désaffectée…Il posa la torche à un endroit prévu à cet effet, éclairant la pièce…

Puis il se tourna vers son élève…et fit un signe de tête…en direction de Stigand…

Aussitôt Tsahid tira son sabre de son fourreau et d’un geste rapide et précis assena un violent coup de pommeau sur la nuque de Stigand…qui s’effondra complètement étourdit…il n’eut que le temps de sentir qu’on le saisissait par le col de son manteau et qu’on l’entrainait au dehors de la salle par le petit boyau pour retourner dans la galerie…et il perdit connaissance…

Salahadîn avait ôté son manteau…il le posa au sol et y allongea Chiana…Il savait très bien ce qu’il risquait…et il ne pouvait infliger cela à ce jeune homme du Nord…c’était contre ses principes…

Il inspira un bon coup…puis gifla violement la jeune femme…L’effet fut immédiat…ce fut comme une explosion d’énergie…la salle tremblait…(les nains crurent à un éboulement…qui déclenchait les tremblements de terre)… Chiana se redressa…elle semblait flotter dans l’air…Ses cheveux à présent d’une longueur incroyables flottaient tout autour d’elle…ses yeux étaient rouges…rouges comme des braises…sa peau était grise…et ses ongles étaient à présent des griffes…

Sa voix caverneuse et nullement humaine retentit alors :

« - J’ai faim…si faim… »

Salahadîn s’approcha alors fit d’une voix forte :

« - C’est pour ça que nous sommes ici… »

Alors partant dans un éclat de rire strident et horrible la jeune femme tendis la main vers Salahadîn…une violente douleur s’empara de lui…il pris sa tête dans ses mains…il avait l’impression qu’elle aspirait quelque chose hors de lui…Il se ressaisit…et se redressa pour faire face à la dévoreuse d’âme…Irritée de tant d’audace et de résistance…elle augmenta son energie…manifestement elle n’avait pas envie de se contenter des ressentis…elle souhaitait manger plus…une âme par exemple…

Ce fut ce moment là que Stigand choisi pour s’éveiller…Tsahid était penché au dessus de lui…Il le regardait d’un air navré :

« - Excuse-moi…mais j’avais des ordres…Je n’ai pas frappé trop fort ? Comment tu te sens ? »

La réputation des nains n'étaient plus à faire quand à leur talent pour créer des réseaux complexes de tunnels. Cette race était experte dans la création de galeries souterraines en tout genre, qui pour des êtres de l'extérieur sont de véritables labyrinthes, et visiter seul une mine était bien souvent synonyme de mort et de danger. Une mine est toujours en activité tant qu'il y a des nains à l'intérieur, et qui dit présence de nains, dit éboulements, car lorsque la pioche est inefficace, ces petits êtres n'hésitaient à utiliser les explosifs, même si sa devait condamner des tunnels abandonnés. C'était le cadet de leur soucis.

Déjà qu'une mine classique était bien souvent complexe, celle de Saxum Civitas était sans doute la pire de toute. C'est pas pour rien que cette mine dans laquelle Stigand et ses amis s'engouffraient était celle de la capitale des nains. Elle était extrêmement étendue, tellement que les nains eux même ne pouvaient estimer le nombre de kilomètres de tunnels qu'ils avaient construits depuis la fondation de la ville. Heureusement, Salahadîn semblait connaître la mine comme sa propre maison. Stigand se laissait guider dans l'obscurité de la caverne.

L'état de Chiana inquiétait beaucoup le jeune homme. Malgré la chaleur de son corps, seuls ses râles et sa respiration permettait à Stig de savoir qu'elle était encore bel et bien vivante. Durant tout le trajet, il lui murmurait de s'accrocher encore un peu, qu'ils étaient presque arrivés, même si elle ne semblait rien entendre. La tête de Chiana était posé sur son épaule, et les bras de la jeune entourait le cou de Stig, et l'amnésique pouvait observer à vu d'oeil la croissance fulgurante des cheveux et des ongles de Chiana. Il eut un frisson. Le monstre qu'il avait aperçu dans le village de Chiana était en train de réapparaître sur son dos. Le jeune homme commença à douter de lui-même. Pouvait-il réellement aider son amie ? Serait-il assez fort pour supporter une telle épreuve ? Sa détermination était inébranlable, certes, mais son corps avait ses limites, et la peur affectait le jeune garçon... Il ferait le maximum pour elle, et implorait intérieurement les grands dragons de lui venir en aide.

Finalement, Salahadîn, Stig... enfin, Wilfrid... et Tsahid, arrivèrent dans une salle assez grande, sans doute un salle de repos désaffectée, un endroit parfait pour ce qu'ils avaient à faire, loin de la populace. L'homme du Nord vit Salahadîn faire un signe à son élève, mais le jeune homme ne se serait jamais attendu à être assommer et écarter ainsi de la jeune fille. C'était à lui de donner une partie de son âme, voir l'âme entière, et non pas au maître de payer les erreurs des autres. Stig avait été beaucoup trop négligent, et trop égoïste. C'était son devoir de s'occuper de Chiana, et il l'avait laissé seul. Il était intimement convaincu que tout était de sa faute, et que par conséquent, c'était à lui de satisfaire la faim de sentiments du vampire.

Stig se sentit trainé vers la sortie de la salle par Tsahid, il comprit aussitôt que Salahadîn comptait remplacer le jeune homme. Il voulut se débattre, mais le coup avait été justement dosé, et frappé au bon endroit. Stigand sentit ses forces l'abandonner. Il tendit le bras un instant vers Chiana. Il voulait l'appeler, la toucher, lui caresser le visage. Mais c'était trop tard et il perdit connaissance. Il était plongé dans le noir, comme après la chute qui lui avait ôter sa mémoire. La même horrible et insoutenable sensation, celle qu'on est en train de tout perdre, et qu'on est impuissant. Il voulait réagir, et se ressaisir, mais il en était incapable. Se réveiller, se lever, se réveiller, se lever, se réveiller, se lever !

Les efforts intérieurs du jeune homme furent récompensés, il se réveilla en plein rituel. Sa vision était troublé, il était encore sous le choc du coup de pommeau de Tsahid, ce dernier lui demanda s'il allait bien, mais Stig ne l'entendit pas. Salahadîn hurlait au même instant. Son âme se faisait aspiré. Stigand n'apercevait que deux silhouettes, il ne pouvait voir la scène en détail, mais il pouvait distinguer qui était qui, car les yeux écarlates de Chiana reflétait la lumière de la braise juste à côté, braise qui s'intensifiait par la proximité du vampire. Il voulut s'approcher, mais n'étant pas tout à fait rétabli, il posa un genou à terre.

« Chiana... » murmura-t-il.

Elle ne réagissait pas... Comment le pouvait-elle ? Ce n'était pas Chiana, c'était un monstre, un monstre affamé de surcroit. Comment pouvait-il l'atteindre ? Il fallait que la jeune fille reprenne le dessus sur son démon intérieur... Stigand se souvint de la manière dont la femme du village avait interpellé la Chiana transformée, elle s'était aussitôt apaisée. Wilfrid ne pouvait qu'essayer de faire de même, de s'adresser directement à l'enfant qui dormait dans cette silhouette monstrueuse... Il allait prendre le rôle de son défunt père, du moins, il allait tenter.

« Reprends-toi Chiana ! » hurla Stig de tout son être. « Papa est là maintenant, arrête tout de suite ! Tu es vilaine ! »

Wilfrid avait eu la peur de sa vie... En voulant raisonner son amie devenue incontrôlable, elle avait tentée d'aspirer son âme. Heureusement Salahadîn savait comment empêcher Chiana de parvenir à ses fins, enfin, on devrait plutôt dire l'empêcher de calmer sa faim... Mais sans que personne ne sache pourquoi, le talisman que portait la jeune fille en permanence, et qu'elle avait encore autour du coup à cet instant, s'était mis à scintiller comme un soleil. Et lorsque sa lueur s'éteignit, Chiana était redevenue normale, avec son attitude d'enfant. Quel soulagement pour le semi-elfe, son élève et le nordique. Ces trois personnes se parlaient avec les yeux. Le maître et l'élève interrogèrent Stigand du regard. Mais il n'avait aucune idée de ce qui s'était réellement passé.

Le groupe se dirigeait alors vers la sortie, Chiana passa devant avec toute sa fougue. Elle était en pleine forme, comme quoi un peu d'âme pouvait être aussi revigorant qu'une buffet pour la jeune fille. Il était devenu évident que la priorité absolue de Stigand était d'aider Chiana à contrôler ses pouvoirs, mais comment ? Déjà, il fallait qu'elle prenne conscience de ce qu'elle était réellement, une vampire... Mais lui apprendre ceci, et lui dire qu'elle était devenue ainsi à la suite de la mort de sa famille, c'était très risqué. Elle pourrait refaire une crise suite à une poussée d'émotions, et se transformer à nouveau. Et si Salahadîn n'était pas présent à ce moment là, qui sait ce qu'il adviendrait de Stigand...

Ce dernier écouta les reproches de Salahadîn en baissant la tête.

« Je suis désolé... Je sais que c'était de la folie, mais je ne pouvais pas rester là à rien faire. Je préfèrerai mourir plutôt que de rester simple spectateur. » lui rétorqua-t-il.

Le semi-elfe soupira, et continua ses explications. Chiana était schizophrène. Elle avait deux entités en elle : la jeune fille de dix ans, et la femme vampire de vingt ans. L'une innocente et fragile psychologiquement, l'autre terriblement puissante et dangereuse. D'autant plus dangereuse qu'elle cherchait à prendre le contrôle du corps de son hôte en jouant sur les émotions de Chiana. Il était évident qu'il fallait trouver une solution... Salahadîn semblait penser à quelqu'un en particulier. Stigand pensa alors que le semi-elfe devait connaître un vampire du même genre qu'elle, qui pourrait l'aider à accepter ce qu'elle était réellement. Stigand voulut alors parler du talisman.

« Le pendentif qu'elle porte... » dit-il d'une voix fébrile. « Je pensais que c'était un simple cadeau qu'elle avait eu de sa famille étant plus jeune, que c'était un talisman des plus ordinaires... Je me trompais... Même s'il m'intriguait par son éclat unique, Chiana a toujours refusée de m'en parler. Elle m'a dit que c'était un secret... »

Salahadîn soupira, il devait espérer que Stig pouvait le renseigner d'avantage sur ce sujet. Mais ce dernier pensait de son côté que le semi-elfe devait avoir sa petite idée sur la véritable nature du pendentif.

« Je me demande quel genre de talisman possède un tel pouvoir... » dit Stigand.

Il eut un moment de silence. La sortie de la mine ne devait plus être très loin. Stig espérait que Chiana n'allait pas tomber sur un autre gobelin et faire une rechute...

« A qui pensez-vous, Salahadîn, quand vous parlez de quelqu'un qui puisse aider Chiana ? » demanda Wilfrid. « Pensez-vous que je pourrais lui parler ne serait-ce qu'un peu ? Peut-être qu'elle pourrait m'écouter sans se transformer... »

Le semi elfe était en pleine réflexion. Un silence s'était installé au sein du groupe, alors qu'il regagnait la surface. Stigand réfléchissait aussi de son côté à ce qu'il pouvait dire à Chiana. Lui dire qu'elle était une vampire pouvait la traumatiser, et provoquer une énième transformation de la jeune fille. Il fallait lui montrer les choses plus simplement. Stig imagina une approche éventuelle. Il fut sorti de sa réflexion quand Salahadîn brisa le silence.

Wilfrid ignorait tout de l'Impératrice. Et Salahadîn pensait que c'était la seule personne au monde capable d'aider Chiana. Il connaissait sa prochaine destination, Industria Civitas, la capitale des hommes... Tsahid n'en croyait pas ses oreilles. Pour lui, il semblait extrêmement difficile d'approcher une femme de ce rang.

« L'impératrice ? Quel genre de personnes est-ce exactement ? » demanda Wilfrid, intrigué par la nouvelle.

Il savait juste que c'était la personne la plus importante de tout le royaume, et qu'elle inspirait respect et admiration à quiconque la croisait. On lui avait dit aussi qu'elle était d'une grande beauté, qu'elle avait l'apparence d'une femme d'une vingtaine d'années alors que, d'après la rumeur elle avait disons... un âge avancé... Salahadîn se mit à sourire amicalement. Il expliqua à ses amis qu'il avait déjà rencontré Lou, qu'elle était beaucoup plus puissante que ce que l'on pouvait imaginer, et qu'elle était loin d'être aussi inapprochable que son rang d'Impératrice laissait sous-entendre.

* Si elle n'est pas une vampire, j'imagine mal en quoi elle pourrait aider Chiana. Quelqu'un de la même race qu'elle serait la mieux placé pour l'aider, car un tel individu aurait vécu la même chose qu'elle... * pensa Stig.

Le semi elfe sortit à nouveau le jeune homme de ses pensées. Il donna l'autorisation à Wilfrid de parler un peu à Chiana. Stig fut heureux d'apprendre qu'il allait enfin pouvoir aider sa jeune amie. Cette dernière interrompit Salahadîn, alors qu'il allait demander quelque chose au sujet du collier de cette dernière. Le groupe ignorait depuis combien de temps elle était là, et surtout, ce qu'elle avait pu entendre. Wilfrid devina où le maître voulait en venir. Effectivement, il était dangereux de parler directement du talisman, car si l'hypothèse sur l'origine de ce talisman, qui était qu'il avait été offert par la famille de Chiana, parler de l'objet pourrait réveiller de terribles souvenirs, et dans le pire des cas, réveiller le vampire qui dormait en elle.

Stigand se tourna vers sa jeune amie et s'approcha. Il posa sa main délicatement sur l'épaule de Chiana, pour la rassurer. Elle tirait une drôle de tête, la curiosité pouvait se lire sur les traits de son visage.

« Chiana, j'aimerai te parler de quelque chose de très important... »

Par cette phrase, il captiva toute l'attention de son amie. Elle le fixait les yeux grands ouverts. Wilfrid fut gêné de voir ses deux petites lunes briller rien que pour lui, il détourna son regard de temps à autre en s'adressant à elle. Il ne pouvait pas la fixer droit dans les yeux trop longtemps... C'était trop gênant.

« Tu es forte et très rapide tu sais, bien plus que moi... Tu es capable de grimper aux arbres et de tuer des animaux en un clin d'œil, moi je ne peux pas faire ce genre de choses... »

Chiana ne voyait pas où son cher ami voulait en venir. Et puis pourquoi il détournait ses yeux à chaque fois... C'est un jeu ? Twing Twang ! La petite se penchait du même côté que le regard du jeune homme, pour rester un maximum dans son champ de vision. Sale gosse...

« Hrem... » toussa Stig, qui était plus proche de la pivoine que du nordique.

Tant pis, il allait devoir la fixer pendant une ou deux minutes. Ses joues commencèrent à rosir.

« En fait, tu as des pouvoirs particuliers, qui te donnent cette vivacité extraordinaire et cette force... Mais des fois, tu ne les maitrises pas, et tu peux blesser des gens, et ça c'est vilain... »

Wilfrid sentit qu'il s'approchait de la corde sensible, trop sans doute. Elle devait se souvenir qu'elle avait été vilaine tout à l'heure, enfin, peut-être... Le jeune homme s'empressa de se rattraper. Il posa chacune de ses mains sur les épaules de la jeune fille, et lui baise le front. Puis il la serra contre elle. Il l'appréciait beaucoup. Il mit ce geste plus que chaleureux sur le compte de l'amour familiale. Elle était un peu sa petite sœur, sa dernière famille. Après un court instant, il se plaça en face d'elle, posa une main sur sa tête, la fixa au plus profond de ses pupilles, comme s'il voulait s'adresser à l'âme de la jeune fille. Il fit son sourire le plus rassurant.

« Mais ne sois pas triste Chiana, c'est pas de ta faute si tu n'arrives pas à te maitriser des fois. Nous allons t'aider à contrôler ta force. Pour cela, nous allons aller voir une dame très importante de ce monde. Quand tu sauras contrôler tes pouvoirs, tu seras la plus aimable des filles que je connais... On veillera sur toi, tu peux compter sur nous. »

Les paroles de Stigand était effrayante pour Chiana…Elle avait cessé de jouer avec lui...Elle était vilaine…et ça elle le savait…tout le monde lui disait régulièrement…Mais Chiana ne comprenait pas…elle ne se souvenait pas…

La jeune femme s’assit alors au sol, le dos contre la paroi…Elle ramena ses jambes contre elle les yeux brillants de larmes…

« - Mais pourquoi Chiana est pas normal…D’où vient la grande force de Chiana…Et puis pourquoi Chiana se souvient pas de quand elle est vilaine… »

Pauvre enfant perturbée…D’un geste affectueux Tsahid s’approcha et s’accroupis face à elle…une mise en conflit contre Stigand ? Peut-être inconsciemment…il voulait, tout comme l’homme du Nord aider la demoiselle en détresse…Il passa sa main dans les cheveux de Chiana…Elle reprit après avoir écouté la fin des propos de son ami Stig sur la « dame » en question :

« - Chiana veut pas voir la dame…Chiana la connait pas…Chiana peur…Chiana veut pas…veut pas se souvenir…maman… »

Cette fois elle se mit à pleurer…Et sans même s’en rendre compte elle venait de donner la clé du problème à ses amis…Elle ne voulait pas se souvenir…Voilà son problème…Elle ne voulait pas de cette autre personnalité qui sommeillait en elle et qui la rendait vilaine…Elle ne voulait pas changer…elle ne voulait pas…grandir…

Cette fois Salahadîn pris la parole…sa voix douce s’adressait à la jeune femme :

« - Ma chère enfant…il va falloir que tu vois cette femme…Et je suis sûre que ta maman aurait voulu que tu la vois…si j’en crois ce collier que tu porte autour du cou … »

Chiana porta sa main machinalement à son collier…il y eut une ombre qui passa sur son petit visage…puis elle se redressa et s’éloigna en ronchonnant…

« - C’est MON collier…et c’est un secret…Chiana laissera pas la dame regarder son collier…et Chiana veut pas voir cette dame… »

Pas le moment de l’énervée la petite les mecs…hrem… bon…ben on est pas dans mélasse…v’là qu’elle se rebelle la petite…elle veut pas voir la « dame »…Et maintenant elle boude…Nos amis arrivèrent bientôt à la surface…enfin…tout es relatif n’est-ce pas…techniquement ils sont sortis de la Mine…mais toujours sous terre…le ciel artificiel témoignait de l’heure avancé de la nuit…Il fallait songer à se reposer…Il rentrèrent chez le Nain marchand qui leur indiqua que la vampire était venue et était ressorti en lui disant « qu’elle allait voir sa maman dans les étoiles »… et que lui ben il savait pas ce que ca voulait dire…et qu’il avait sommeil alors bonne nuit…

Salahadîn se demandait bien ce qu’elle avait voulu dire par là…Stigand le savait…Elle avait besoin de se ressourcer…et qui sont les vampires sont des créatures de la nuit…

Tsahid s’installa sur un des sofas…Salahadîn indiqua la deuxième à Stig en lui disant :

« - Repose toi…demain nos commençons notre avancée…Il faut aller à la ville des Hommes et une longue route nous attends…moi…je n’ai pas besoin de dormir… »

Il s’assit sur un fauteuil et alluma une pipe…Puis il tira une longue bouffée de fumée qu’il souffla hors de ses poumons par la bouche tout en décrivant des formes…Un petit jeu qui le détendait et le fit sourire inconsciemment…

Ce collier…comment cette jeune fille avait-elle pu en avoir un de ce genre…L’impératrice sera ravit de l’avoir…restait à savoir comment convaincre Chiana de le « prêter » à Lou…

Wilfrid fut attristé devant la réaction de Chiana. Il avait voulu la rassurer, lui dire que tout allait s'arranger, mais hélas la petite n'était visiblement pas d'humeur. Elle se bloqua sur le fait qu'elle avait été vilaine. Même si c'était pas de sa faute réellement, un démon l'habitait et elle ne savait pas le faire taire. Elle avait bel et bien besoin de consulter quelqu'un d'aussi éclairée que l'Impératrice. Mais elle s'y refusait, sous le prétexte qu'elle la connaissait pas. Parler du collier était la goutte qui fit déborder le vase. Si Wilfrid avait pu anticiper les propos de Salahadîn, il l'aurait empêcher de s'adresser à la jeune fille. Bref, la petite faisait sa révolution, il fallait que la tempête passe. L'amnésique fit signe à ses amis de ne pas en rajouter.

La nuit était tombée depuis un moment déjà, le groupe le remarqua une fois sorti de la mine, si on pouvait appeler ça « sortir ». Saxum Civitas était enterrée, et seul un ciel artificiel permettait d'en savoir d'avantage sur l'heure à l'extérieur. La notion du temps était fortement perturbée dans ses lieux. Une fois arrivé à la maison du nain marchand, le propriétaire leur indiqua que la vampirette était partie. En entendant les propos du nain, Stigand comprit que sa jeune amie était partie aller voir la Lune, dans laquelle elle voyait sa mère. C'était toujours un beau mensonge de faire comprendre la mort à un enfant, en lui disant que l'âme de la personne montait au ciel et devenait une étoile. Mais la réalité était nettement moins agréable à écouter. Qui sait ce qu'il advient de l'âme après la mort ? Personne ne pourra jamais le raconter, il faudra le découvrir par soi-même, mais seulement que l'heure sera venu.

Stigand s'installa dans le deuxième sofa à sa disposition, mais il n'avait guère envie de dormir. Il ne pourrait pas de toute façon. A force de trop réfléchir et de se poser trop de questions, l'esprit de l'amnésique était trop perturbé pour laisser son corps profiter des bienfaits d'un sommeil récupérateur. Il resta un instant, à regarder Salahadîn s'amusa avec sa pipe. Il s'étonna de le voir dessiner des cercles bien nettes avec la fumée, il ne devait pas être à sa première tentative. En se remémorant les évènements de la journée, Wilfrid brisa le silence.

« Chiana ne refusera pas de nous suivre jusqu'à Industria Civitas, tant que l'on parlera pas de l'Impératrice et de ce collier... Ce sont vraiment les sujets à éviter. »

Il soupira, puis se leva fermement, se dirigeant vers la sortie.

« Je vais sortir un peu moi aussi... »

Il était inutile de mentir, il voulait aller voir Chiana, il voulait lui dire quelque chose qui lui tenait à cœur. Il s'était juré de lui parler de ses problèmes personnels dans la capitale des nains. Et une nuit calme éclairée par la Lune était sans doute le meilleur moment pour engager ce dialogue. Wilfrid ne sera retourna pas pour voir la réaction de Salahadîn, ni pour savoir s'il en avait réellement l'autorisation...

Le jeune homme, une fois sorti de la maison, commença à se déplacer plus ou moins aléatoire dans les ruelles. La ville était vraiment plus calme la nuit. Cela pourrait paraître normal dans une ville quelconque, mais après avoir pu observer le bazar qu'était le marché de la ville en pleine journée, voir les mêmes lieux vidées de ses âmes était perturbant. Stig stoppa un instant sa marche pour réfléchir. Chiana était partie voir la Lune, mais depuis où ? Si elle était au sommet au de la Montagne Solitaire, cela serait disons... gênant. Non, elle devait observer la fausse Lune depuis le meilleur emplacement possible... Stig se souvint de trois ou quatre endroits qui seraient potentiellement les mieux adaptées pour voir le ciel artificiel dans le calme. Il irait voir à ses endroits là. S'il ne la trouvait pas, il retournerait se reposer chez le nain marchand. Mais il tenait vraiment à lui parler à un peu.

Wilfrid souffla un moment, cette séance d'escalade l'avait un peu fatigué. Il avait enfin trouvé la petite... C'était pas facile, mais il y était arrivé... Il avait du s'aider de tonneaux qui trainaient dans une ruelle pour accéder au plus haut toit du quartier, si on pouvait appeler ça un toit. Les habitations avaient étés directement construites dans la roche, donnant ainsi un style particulier et unique à la ville. Elle avait bien choisie son emplacement. La Lune artificielle se trouvait juste en face. D'ici, on avait l'impression que l'on pouvait toucher l'astre du bout des doigts. Elle avait beau être fausse, elle scintillait réellement, du moins, pas autant que les yeux de Chiana à chaque fois qu'elle posait son regard sur quelque chose qui l'intriguait.

Elle était triste, et elle ne le cachait pas. Elle était perdue. Elle avait été vilaine, enfin, son vampire avait fait du mal. Elle avait tentée d'aspirer deux âmes, celle de Stigand lui-même et de Salahadîn, et elle avait littéralement fait imploser un pauvre gobelin qui avait eu le malheur de croiser sa route. Mais sa n'était pas de sa faute à la pauvre petite. Elle n'avait même pas conscience de sa véritable nature. Normal. Elle refusait de ce souvenir de cette nuit atroce où toute sa famille a été assassiné. C'était compréhensible. Lorsque qu'un tel traumatisme vous frappe, un réflexe possible est de bloquer se souvenir, pour ne plus à avoir affaire à la réalité. En faisant cela, Chiana avait également bloqué le souvenir du moment où elle avait été mordue. Même si elle savait que les personnes mordues par les vampires devenaient comme eux, son traumatisme lui faisait ignorer qu'elle avait subie cette transformation. Elle ne voulait pas se souvenir, mais il faudra bien le faire un jour. Mais l'heure n'était pas encore venue.

Wilfrid s'approcha doucement, il ne voulait pas effrayer ce petit minois tout triste, même si elle s'était sans doute déjà rendu compte qu'il était présent. Il se posa à côté d'elle, et se mit à regarder la Lune à son tour, silencieusement. Le calme de la scène contrastait nettement avec l''agitation qui régnait dans ces deux jeunes esprits. L'amnésique prit son courage à deux mains et entama son monologue.

« Chiana, j'aimerai te confier quelque chose. Mon plus gros et plus lourd secret à vrai dire... »

Il se tourna vers son amie. Il espérait sortir un peu Chiana de sa mélancolie. Elle avait tournée légèrement sa tête vers son interlocuteur, mais c'est ses yeux qui avaient fait la plus grosse rotation. Tant pis, il fallait continuer.

« J'ai perdu la mémoire il y a quelques temps, après avoir fait une mauvaise chute. Je ne me souvenais plus d'où je venais, ni qui j'étais. C'était très dur au départ, je te l'avoue. Mais je suis allé de l'avant. Des nains ont pris soin de moi comme si j'étais leur propre fils, et m'ont aidés à reprendre confiance en l'avenir. Je me suis mis en quête de mon passé et j'ai entrepris de venir ici, à la Montagne Solitaire... C'est là que je t'ai rencontré... »

Il marqua une pause, il ne savait pas trop comment présenter les choses à Chiana. Elle semblait s'intéresser d'avantage à son récit. Mais il souriait, il ne voulait pas l'apitoyer sur son sort, ni la peiner.

« Salahadîn m'en a appris plus sur mes origines. Il m'a dit que ma famille vivait plus au nord, et qu'il s'agissait d'une famille... »

Attention, si tu dévoiles que ta famille est morte, elle va se souvenir de ses propres problèmes. Il faut mieux pas tout dévoiler ce soir.

« Malgré cela, je ne me souviens toujours de rien. J'espère que j'arriverai à me rappeler de tout plus tard... Tu sais, je te considère un peu comme... Ma petite sœur. T'es un vrai petit rayon de soleil au quotidien, quand tu cours partout, que tu fais des acrobaties, et quand tu ris... »

Il leva son bras gauche et le passa derrière le dos de Chiana, pour poser sa main sur son épaule. Sa peau était toute chaude, elle n'était vraiment pas une vampire ordinaire...

« Tes pouvoirs sont un don, pas une malédiction. Même si tu n'as jamais souhaitée les avoir, elle t'offre un tas de possibilités, notamment celui d'apporter du bonheur autour de toi. Tu dois t'en servir dans un bon état d'esprit... »

Il se décala un peu, pour s'approcher un peu plus de son amie, il la serra un peu plus fort. Il fixa la Lune, et continua son monologue.

« Tu sais, mon souvenir le plus lointain, c'est celui de ma chute... Et la Lune brillait si fort, ce soir là. C'est la dernière chose que j'ai pu voir avant de m'évanouir... Des fois je me demande si sa lumière ne m'a pas protéger de la mort... »

Wilfrid fut touchée par la naïveté innée de Chiana. Elle semblait croire dur comme fer que sa mère l'attendait dans le ciel. Si elle savait... Même dans ce monde mystérieux qu'est Chiméria, il était difficile d'imaginer que l'âme d'un défunt puisse devenir un astre à part entière dans le ciel... En maitrisant ses propres pouvoirs, peut-être que tout s'éclaircirait dans la tête de la petite... Elle prendrait à la fois conscience de sa propre nature, et comprendrait instantanément que sa mère au ciel n'était qu'un mensonge pour la prévenir de la douleur insoutenable du deuil. Mais pour l'heure, il fallait mieux pour elle qu'elle vive dans cette illusion. Stig fut rassuré d'entendre Chiana parler, finalement elle l'avait écouter. Il entendit ses propos.

« Je ne doute pas un seul instant de la beauté de ta mère, puisque tu es toute mignonne toi aussi. » répondit-il, en rougissant. « Tu la reverras un jour, c'est certain. »

Mais visiblement, elle n'avait pas percutée à son compliment. Il se demanda un instant ce qu'elle pensait réellement de lui... Et malheureusement pour elle, elle ne la verrait pas de si tôt, sa maman chérie. Elle était immortelle et l'ignorait, et pour rejoindre sa mère, il fallait qu'elle meure... Pourvu qu'elle ne meure pas de la morsure d'un lycan, puisque qu'une de ces bêtes était responsable de la mort de la famille de Chiana, tandis qu'un groupe entier de ces monstres avait décimé la famille de Wilfrid. Il vouait désormais une haine féroce envers cette race, qui lui avait ôté la chair dont il était issu. Sa famille était réputée en tant que chasseurs de lycans, et Wilfrid s'était juré de venger les siens. Il ne ferait aucune exception...

Au même titre que son deuil, Chiana saurait tout le moment venu, sa famille, ses pouvoirs, sa nature, son immortalité, tout... Il l'écouta parler de sa mère... Il soupira. Non tu la verrais pas ma pauvre enfant. Mais laissons lui ses espoirs, la scène était trop belle, il fallait pas tout gâcher...

« J'aimerai beaucoup me souvenir d'elle. Je me demande quel genre de mère elle est. Il en va de même pour mon père... Je me demande si j'ai des frères ou des sœurs. »

Sa voix se troubla légèrement à la fin de sa phrase. Peut-être en découvrant la décomposition exacte de sa famille avant son massacre, il recouvrirait la mémoire. Mais de ce côté, rien n'était garanti. Déjà que d'apprendre son nom exact n'avait eu aucun impact sur sa conscience... Wilfrid se demanda quel genre d'homme il était avant. Etait-il cultivé, courageux ? Avait-il une petite amie ? Savait-il déjà se battre ? Et puis, quel était le but exact de sa mission, qui lui a valu d'être amnésique ? Tant de questions qui resteraient sans réponse pendant quelques temps, quelques années, voir toute la vie. Désespérant... Stig sentit un pincement au cœur qui fit grimacer un peu son visage. Pourquoi sa mémoire était-elle bloqué ainsi ? Même avec toute sa volonté, Il n'y avait qu'un voile noir dans son esprit, et derrière elle, une armoire aux tiroirs vides. Il voulut qu'un magicien apparaisse, que ce dernier arrache le voile et en même temps, fasse apparaître le contenu disparu du meuble. Un vrai tour de magie impossible. Mais peut-être que l'Impératrice avait la solution. Si elle pouvait aider Chiana, elle pouvait faire peut-être quelque chose pour lui... Qui sait.

« Tes dons me seront utiles, je peux te le garantir. » Il frotta son épaule avec sa main, comme pour la réchauffer. « On ira chercher ta maman juste après, je te le promets. Mais avant d'aller voir ma famille, il faut que j'accompagne Salahadîn. J'espère que tu vas nous accompagner... »

Il se leva, et tendit sa main vers Chiana, pour qu'elle la saisisse pour qu'elle puisse se relever. Il lui sourit.

« Viens, on va rentrer. On va prendre la route demain, et il va falloir qu'on soit en forme pour le voyage, et il n'y a pas de secret pour récupérer, il faut dormir. »

Après les quelques mots de Wilfrid, Chiana n'avait pas rajouté un mot. Elle n'avait pas l'air enjouée de devoir suivre son amie et le semi elfe. Aurait-elle préférer aller directement vers le Nord, là où la famille de Stigand vivait, ou plutôt, avait vécu ? Sans aucun doute... Mais il était très urgent qu'elle apprenne à se maitriser. Et c'était là le véritable but du voyage vers Industria Civitas... Chiana avait sauté du toit directement, tandis que Wilfrid avait du se fatiguer à descendre de façon ordinaire. Il prit quand même soin de remettre les tonneaux qu'il avait utilisé pour monter à leur place. S'il avait sauté comme la vampirette, il se saurait probablement briser les jambes. Lorsqu'il la rejoignit, elle baissa les yeux, honteuse de sa performance. Stig posa sa main sur les cheveux de Chiana en lui souriant.

« Même si tu n'as pas choisie d'avoir ces pouvoirs, ils te permettent de faire ce que tu veux et aller où tu veux. Essaye de positiver, tu es capable de faire des choses formidables. Et même si tu n'avais pas eu cette force, je t'apprécierai toujours autant. C'est ta personne que j'aime, pas tes capacités... »

Ils rentrèrent chez le nain marchand. Salahadîn était toujours réveillé, il ne dit pas un mot dans un premier temps, il se contenta de sourire amicalement aux jeunes gens. Chiana s'installa dans le sofa sur lequel Wilfrid voulait s'asseoir... Et quand il allait finalement opter pour le fauteuil, la jeune fille se leva pour s'y installer... Sale gosse, voleuse...A quoi pensait-elle à ce moment ? Aucune idée. Elle s'endormit peu de temps après. Elle allait dans les bras de Morphée aussi vite qu'un rocher qui coule dans l'océan. Wilfrid écouta Salahadîn parler.

Tandis qu'il parlait, Stig s'installa dans le sofa et se positionna à son aise. Puis, il se mit à réfléchir à nouveau sur sa condition... En fait, Stigand avait peur... de Wilfrid, de celui qu'il était avant. Ce sont nos expériences et l'éducation de nos parents qui dessinent les traits de nos personnalités, qui font qu'on va opter pour une décision plutôt qu'une autre... Qui était-il avant ? Avare ? Curieux ? Gentil ? Naïf ? Intelligent ? Raisonné ? Et j'en passe... Et quelles étaient ses relations avec sa famille ? Était-il aimé, ou rejeté par les siens ? Avait-il des parents aimants, ou bien des parents sévères ? Autant de questions qui furent stopper par les paroles de Salahadîn à propos des rêves et de la mémoire.

« Hélas, depuis que je me suis réveillé, je ne fais que deux rêves différents. Soit je me revois en train de tomber de cette maudite falaise plusieurs fois d'affilés, soit je suis dans le noir complet, et je dois attendre qu'une lumière vienne me montrer la voie vers le réveil. Je ne sais pas lequel de ces deux rêves, ou plutôt, ces deux cauchemars, est le pire... Et honnêtement, je préfèrerai me souvenir de tout, même si mon passé n'est pas glorieux. Au mieux, j'aurai l'impression d'avoir une identité... »

Les autres paroles du semi-elfe le surprirent, il affirmait qu'il le comprenait... Avait-il perdu sa famille, lui aussi ? Il lui demanderait plus tard...

« Merci, Salahadîn... Bonne nuit... » lui dit-il.

Il se laissa s'enfoncer un peu plus dans le sofa, et Morphée vint s'occuper de son cas à son tour. Ce soir là, c'était au tour du rêve de la chute. Mais ce rêve semblait... différent. Alors qu'il allait toucher le sol, le temps s'arrêta, et il pouvait bouger sur place, comme s'il avait le contrôle. Inconsciemment, il avait du dire « Stop » et le rêve avait obéit... Ce qui l'intéressait, c'était ce qui s'était passé avant... Il se demanda s'il pouvait remonter le temps, et cela arriva. Wilfrid se sentit remonter, le souvenir revenait en arrière. Il montait, plus haut, plus haut, plus haut. Arriva le moment où il avait ouvert les yeux, cette fois ils se fermèrent. Mais il montait encore, il remontait dans son souvenir. Il se sentit se redresser, et ses pieds toucher le sol. Il sentit une violente douleur dans tout son corps, et lorsqu'il ouvrit les yeux, tout ce qu'il l'entourait était flou et le temps était arrêté. Néanmoins, il pouvait voir... des silhouettes, plusieurs personnes. Mais impossible de dire si c'était des humains, ou des monstres. Celui qui était le plus proche de lui semblait tenir quelque chose, et son bras semblait être en plein mouvement. Allait-il se faire frapper ? Peut-être. En tout cas il avait mal, ce qui signifiait probablement qu'on l'avait déjà blessé avait ce moment là.

Puis le temps se remit en marche, mais dans son vrai sens, et effectivement, comme il l'avait senti, la silhouette proche de lui lui donna un grand coup, et ce qu'il tenait était une arme contondante. Il retomba, et son rêve recommençait comme les précédents. Et au moment de toucher le sol, dans un fracas de chair d'os et de roches, tout devint noir, et il basculait alors dans son second type de rêve... Le noir le plus obscur. Et plus tard, la lumière vint frapper son visage. Il était l'heure de se réveiller...

La méthode de réveil de Tsahid était plus douce que celle à laquelle Chiana avait habitué Wilfrid, mais finalement, il aurait préféré que sa jeune amie s'occupe de cette tâche là. La raison pour laquelle elle ne l'avait pas fait était simple : elle dormait encore comme un petit chaton, sur le fauteuil. Salahadîn la réveilla juste après. Stig s'amusait toujours de voir Chiana se comporter comme un chat. Pourquoi diable ne miaulait-elle pas, malgré son comportement de félin ? Il fallait mieux ne pas chercher à comprendre... Stigand fut agréablement surpris de voir la jeune fille se jeter ainsi sur la nourriture, comme quoi elle était finalement redevenue normale, du moins, c'était son estomac qui avait pris le contrôle de son petit corps frêle, une fois de plus... Elle mangeait toujours autant, à croire qu'elle avait pas qu'un seul ventre.

Wilfrid ne connaissait pas les routes pouvant mener à Industria Civitas, et par conséquent, il buvait littéralement les paroles de Salahadîn, en même temps qu'une bonne tasse de thé. Il fallait faire vite, car l'Impératrice et son cortège se déplaçait assez vite, et personne dans le groupe ne savait où il en était dans leur voyage. Il fallait donc arriver le plus vite possible à la capitale des hommes, pour espérer arriver avant l'Impératrice. Pour cela, il faudrait les meilleurs chevaux, ainsi qu'un minimum de pause... Si la troupe pouvait se déplacer aussi vite que la vampirette, nul doute qu'ils arriveraient avant la Confrérie. C'est la chance et la rapidité de chacun des groupes qui détermineraient s'il y aurait rencontre ou non.

La surprise de Stigand fut grande lorsqu'elle demanda au semi-elfe si elle devrait voir Lou, celle qui pouvait la « guérir ». La réponse de Salahadîn ne se fit pas attendre, et une drôle de bouille s'imprima sur le visage de Chiana. Elle ne voulait pas aller voir l'Impératrice, et elle l'avait déjà fait savoir de la plus visible des manières. Alors que Wilfrid voulut prendre la parole, pour essayer de convaincre la petite des bienfaits que lui apporterait une telle rencontre, Salahadîn dit, dans un éclair dont seuls les génies ont le secret, les paroles qui firent mouche immédiatement. Mais où diable le maître avait-il appris que Chiana croyait qu'elle pouvait encore communiquer avec sa mère ? Wilfrid ne lui avait pas expliqué qu'elle voyait sa mère dans la Lune, que la plus belle des mamans ne pouvait que devenir le plus belle astres des nuits obscures. L'avait-il simplement deviner, était-ce le fruit d'une intense réflexion, ou pouvait-il lire dans les pensées des autres ? Tant de questions sans réponse... L'amnésique aurait tout le loisir de lui demander à Salahadîn sur le trajet. Ce dernier parlait à Chiana comme un père parle à sa fille, avec le fameux « si tu es sage, alors... ». Ce qu'il ajouta juste après étonna une nouvelle fois Stig... Revoir sa mère, à lui ? Était-il au courant du sujet de la conversation de la veille entre la vampirette et Stigand ? Peut-être qu'il les avait espionner... Ou sinon, l'Impératrice avait-elle le pouvoir de communiquer avec les défunts, et de permettre aux mortels de pouvoir dire ou entendre quelques paroles qu'ils auraient aimés échanger avec les personnes décédées. L'Impératrice Lou avait des pouvoirs, elle était sur le trône depuis si longtemps... Mais quel genre de personne était-elle réellement ? Wilfrid ne tarderait pas à le voir par lui-même. Il ne la connaissait que de réputation, mais il était déjà impatient d'arriver au jour de leur rencontre. Elle le fascinait.

Chiana ne s'était pas transformée, mais elle était à elle seule une explosion de joie. Il vint embrasser rapidement la joue de Wilfrid, qui se mit à rosir aussitôt. Il avait suffit de quelques mots simples pour la faire totalement changer d'opinion vis-à-vis de Lou... Pourvu qu'elle ne saute au sens propre du terme sur l'Impératrice une fois qu'elle l'a verra... Tout le monde ici présent se réjouissait ainsi de la voir pétiller ainsi, mais Salahadîn la rappela à l'ordre aussitôt, et tel un parfait soldat, elle se dressa tout du long de son corps, elle était presque au garde à vous. Qui aurait cru qu'un être vivant puisse dresser la bête de cette façon. Il ne faisait plus aucun doute que Salahadîn pouvait être un père de remplacement pour elle.

Il était temps pour le groupe de partir. Toutes les affaires étaient rangées, sauf celles de Chiana, car une fois de plus, elle vida complètement son sac, pour vérifier une énième fois si tout était là... Mais oui, tout était là ma grande, Wilfrid s'était lui-même charger de tout ranger... Allez tu peux tout remballer... Salahadîn avait sans doute réserver les meilleurs chevaux, et le groupe sortit de la maison du marchand nain. Wilfrid remercia ledit nain pour avoir garder ses affaires durant tout le séjour et de l'avoir héberger gratuitement. Ils se dirigèrent vers la sortie de la ville, traversant une dernière fois le fameux marché de la ville. Le ciel artificiel semblait annoncer une bien bel journée. Wilfrid s'avança à la hauteur du semi-elfe.

« Avez-vous aussi réserver un cheval pour Chiana ? Vous savez elle a effrayée un des chameaux de Tsahid l'autre jour, je crains qu'un cheval aura la même réaction. Mais vous y avez déjà pensé, n'est-ce pas ? » demanda-t-il suffisamment silencieusement pour ne pas trop éveiller les sens de Chiana dans le boucan du marché.

Il resta près du semi-elfe, mais cette fois, il gardait l'œil sur son ami. Il était hors de question qu'un autre gobelin finisse imploser en plein milieu de la ville.

« Même si elle n'a pas besoin de cheval, elle pourrait vite se fatiguer, à marcher et à chasse comme elle est habituée à faire. En tout cas, préparez vous un festin. Tsahid vous a-t-il raconter qu'elle avait ramenée un ours, peu avant notre arrivé à Saxum Civitas ? »

Le cheval de Salahadîn était un magnifique pur sang, la lumière se reflétait sur lui comme s'il était fait d'argent. Même s'il n'obéissait qu'au semi-elfe, il était d'une docilité sans pareil. Il venait lui-même chercher les câlins, et c'était là un bien beau cadeau pour Chiana, elle qui commençait à peiner à s'habituer à être repoussé par les animaux. Ce cheval était puissant, à l'allure fier, une vraie merveille sur quatre jambes. Pas étonnant qu'il ai été le cheval personnel de Salahadîn. Wilfrid se sentit gêné mais ravi que le maître lui laisse ainsi sa propre monture, c'était un honneur et un privilège pour le jeune homme. De plus, le cheval semblait répondre aux propos de son maître. On disait que les chevaux comprenaient bien plus le langage humain que ce que l'on pouvait imaginer. Après tout, il avait le même regard que les humains, et savaient très bien se faire comprendre quand quelque chose n'allait pas. C'était un véritable régale de chevaucher de telles montures. Comme le semi-elfe lui avait indiqué plus tôt, le cheval était obéissant. Mais Wilfrid, troublé d'être sur un tel animal, laissait de temps en temps la bête se lâcher un peu, mais son propriétaire était là pour rappeler l'animal à l'ordre...

Ils filèrent comme le vent. De tous les destriers sur lequel Stig a pu monter, celui là était le plus exceptionnel. L'animal semblait n'avoir aucune destination, et montrait à chaque instant à son cavalier qu'il pouvait aller sur n'importe quel type de terrain. C'était un véritable plaisir que de chevaucher une telle créature. Et de plus, Chiana était là aussi. Elle semblait aux anges. Elle se déplaçait comme un courant d'air, sans à avoir à fournir le moindre effort, sans avoir à utiliser ses dons. Elle n'envisageait probablement pas avant cela d'avoir les mêmes sensations sur un cheval qu'à pied. Ledit animal n'avait pas eu peur d'elle, bien au contraire, et la vampirette était tellement focalisée sur la monture qu'elle n'entendit pas Salahadîn plus tôt dire que ladite monture n'avait pas peur des vampires. Une vraie gosse cette fille...

« Au fait Chiana... » dit le jeune amnésique en souriant à son amie, tandis que le cheval galopait. « Mon vrai nom, c'est Wilfrid. C'est Salahadîn qui me l'a appris. Mais tu peux toujours m'appeler Stigand... »

C'était étrange pour Wilfrid d'être assis ainsi sur une selle avec Chiana. Elle avait passée ses bras autour de sa taille, pour éviter de tomber. Il était un peu gênée qu'elle soit ainsi collé à lui, mais il était ravi. Il pourrait veiller sur elle... Le groupe sortit de la Montagne Solitaire, et Salahadîn désigna les raccourcis à prendre. Il parlait d'une voix assuré, il savait où il allait. C'était un grand voyageur et pour lui, la route n'avait aucun secret. Ils se déplacèrent rapidement, et aucun d'entre eux ne vit le temps passer. Pourtant, le soleil arriva à son zénith, et annonçait par la même occasion l'heure de faire une halte pour se rassasier. Stig avait déjà en cours de route entendu l'estomac de Chiana réclamer. Pourtant elle n'avait pas fait grand chose, à part caresser le cheval, se tenir à son ami, et regarder le paysage qui s'offrait à elle. Et ben non, fallait que mademoiselle mange pour trois quand même... Non mais j'vous jure. Finira-t-elle un jour par manger normalement ? Ça tiendrait du miracle...

Le maître interrogea le groupe, tout en ayant un regard insistant sur l'amnésique. Visiblement il avait vu dans ses affaires qu'il avait de quoi cuisiner correctement. Et le semi-elfe semblait curieux de pouvoir goûter par lui-même la cuisine du jeune garçon.

« Sa serait prétentieux de ma part de me considérer comme un maître cuisinier, mais je veux bien tenter l'expérience et recueillir vos avis. Je ne suis pas un fin gourmet, mais j'ai appris la cuisine par quelqu'un qui excelle dans cette art. » répondit Stig, qui sortait ses ustensiles au même moment.

Chiana, comme à son habitude, avait déjà un morceau de viande dans la gueule. Décidément, il fallait qu'elle soit servit avant tout le monde, et de surcroit, il fallait lui fournir les provisions d'un régiment entier. La morfale... Elle aimait la nourriture, et la nourriture le lui rendait bien. Inspiré, Wilfrid commença à préparer le repas, tandis que Tsahid entretenait le feu qui aiderait à cuire les aliments. Le jeune homme allait reproduire un assaisonnement dont Melni, la naine qui l'avait recueilli, avait le secret. La viande n'était pas de grande qualité, mais si les Dragons ont crées les épices et l'assaisonnement, ce n'était pas pour que les humains mangent crue quelque chose. Il fallait faire ressortir le goût, l'embellir, et l'accompagner, dans le but de créer une explosion de saveur. Stig redoubla d'effort pour mettre la juste dose de chaque ingrédient. Bientôt le repas fut préparé. Et c'était le cuisinier qui se chargea de distribuer la part de chacun (en commençant par la petite dame qui hurlait dans le fond, cela va de soi...). Une fois chacun servit, il prit sa part, et s'empressa de goûter. Ça n'était pas aussi bon que les petits plats de la naine, mais il était fier de son résultat. Un jour il finirait peut-être par dépasser celle qui lui avait tout appris.

« Alors... vous en pensez quoi ? C'est à votre goût ? » demanda-t-il, l'air timide.